Solve et Coagula
Mont St. Michel Series


Il est de ces endroits dont on croit tout savoir, tout avoir lu, vu, entendu et qui pourtant offrent, au visiteur qui s'y engage par la porte basse, une magie sans cesse renouvelée, une expérience inoubliable, et l'étrange sensation de s'être désaltéré à une source fraîche et pure. Comme une sorte de re naissance si l'on peut dire...
Le Mont St. Michel est de ces lieux...

Ce qui frappe tout d'abord le visiteur, pèlerin, touriste ou simple curieux attiré par ce tertre étrange, à mi chemin entre le ciel et la terre, et dont l'abbatiale étire sa flèche vertigineuse vers le ciel, c'est la foule...

Une foule compacte, bruyante, comme une vague qui voudrait tout engloutir. Des cris, des rires qui se répercutent contre les murs serrés de la ville basse et ombragée où se tiennent les marchands du temple.
Une foule en marche, une foule qui gravit les échelons vers la lumière et l'abbaye, là haut.

Car le Mont se mérite.

Il faut marcher, piétiner, se faufiler ou prendre les chemins de traverse et transpirer, les cuisses tétanisées, sur les degrés des escaliers qui grimpent raides le long du Mont. Et pourtant on ne fait qu'effleurer le lieu à ce stade, que flirter à sa périphérie, n'en caresser que les contours visibles.

Et toujours des marches. Toujours grimper... Plus haut...

Et lorsqu'on croit avoir atteint le but, se figer devant un ultime escalier plus raide encore, qui conduit le marcheur épuisé au but qu'il a fixé à sa Quête; sans même se douter qu'elle ne fait que s'initier.

Ainsi, nous voici enfin en haut, à mi chemin entre le ciel et la terre, comme suspendu entre deux états, deux mondes et baignant dans la lumière avec tout le loisir d'admirer le chemin parcouru.

Le marcheur fatigué fait une pause, bercé par le chant des oiseaux qu'il écoute comme s'il suivait une conversation, comme si les cris et les sifflements des corneilles lui chuchotaient quelque intime secret à l'oreille. Il ressent, comme rarement, l'énergie que lui communiquent les 4 éléments qui fondent ce lieu.
Air, feu, eau et terre...
Un abrégé de l'univers d'où se dégage une harmonie certaine, l'impression d'être de ce monde, là, ici et maintenant...

La foule, sur ce toit du monde, comme un phare dressé devant l'inconnu, est à présent moins dense.
Ou peut être notre marcheur la subit-il moins à présent, ayant eu besoin de l'effort physique pour s'en extraire.
Il a repris son souffle, en contrôle à présent le rythme et se met à l'écoute de son corps, de ses jambes fatiguées, de sa sueur qui mouille sa chemise, de son cœur dont les battements se régulent, de la caresse du soleil sur sa peau qui, uni à l'air, en assèche les pores; toutes ses sensations qui font que nous nous sentons en vie.
Ce n'est plus en effet une masse indistincte de visiteurs qui se tient ici, debout devant l'Abbatiale qui ouvre ses portes, mais au contraire des individus à l'écoute d'eux même et qui s'apprêtent à poursuivre leur visite..Sans toutefois savoir jusqu'où leurs pas vont les conduire.

Depuis le bénitier de pierre que la lumière inonde et fait vibrer comme s'il était un creuset chauffé à vif, le visiteur pénètre dans l'abbatiale et dirige ses pas vers le chœur que l'on appelait autrefois le Grand Œuvre. Il avance, calme à présent, au milieu des colonnes d'une architecture fine comme de la dentelle et ajourée de vitraux immenses.
Chaque chose est en ordre, à sa place.
Les cris de tout à l'heure ont fait place à des chuchotements retenus.
Il est temps à présent de poursuivre son chemin et de découvrir une oasis de verdure encadrée de piliers entre ciel et terre...

Le Cloître...
Faire le tour à pas mesurés et lire les ornements des colonnes, se retrouver suspendu au dessus du vide à une extrémité, enfin y méditer, un instant, à l'ombre de l'arbre aux oiseaux, lire les rythmes et l'harmonie du lieu, véritable jardin terrestre en plein ciel.

Pourtant le chemin ne s'arrête pas là, hélas, il faut encore descendre quelques degrés pour entrer véritablement dans la Merveille par son réfectoire strié de lumière, comme les rayons serrés du soleil au milieu de l'ombre plus présente.
De fait les ténèbres se font plus sensibles au fil de la visite.

L'impression de descendre lentement dans le ventre de la terre, laissant derrière soi tout ce qu'on avait cru acquis, conquis. Et trouver au détour d'une salle, là, sur un humble tabouret de bois qu'une lumière de fin d'après midi éclaire comme pour nous appeler, la solitude propice à l'intériorisation, au silence...enfin.

Pourtant il faut descendre encore. Aller toujours plus bas, plus profond...
Retrouver, après le chant aérien des oiseaux, la sourde pulsation de la terre. se retrouver soi dans l'intimité du monde d'en bas et ressortir à la fois le même et pourtant transformé.

Régénéré par la visite, redécouvrant ses sens, reprenant contact avec la vie, retrouvant intacte la lumière qui nous avait ouvert les yeux plus tôt... tout là haut. Comme si on en avait ramené quelques étincelles, quelques étoiles qu'on sentirait aussi briller en soi.
C'est avec ce regard neuf qu'on pose alors les yeux sur le monde qui semble briller d'un éclat plus vif.
Ce n'est pas lui qui a changé mais nous, au terme de ce court pèlerinage qui nous aura convié à la découverte de nous-même, sous la haute protection de celui qui a vaincu le dragon monstrueux, vomi par les ténèbres...

Alors on peut quitter le Mont...

Un peu de la lumière de ce phare du monde luit encore en nous.

Bruno Mercier - avril 2010
"Solve et Coagula"

« le Mont St Michel est une étrange histoire d’amour, une très belle histoire d’amour au milieu des brumes qui envahissent le ciel, quand les ombres de la terre s’insinuent dans les rivières qui se perdent dans les sables et quand éclatent dans des triomphes tonitruants les orages qui rôdent sans cesse au-dessus de la statue de l’archange de lumière »…
Jean Markale

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